C’était le jour d’Halloween, en 2023, notre ami Antoine qui souffrait depuis quelque temps déjà de dépression, de mal-être, se suicidait. On n’est pas préparé à entendre une telle nouvelle. Cette onde de choc nous a dans un premier temps abattu de douleur. Pourquoi a t’il fait ça? Qu’avons-nous manqué? Quels signes avons-nous négligé? La culpabilité a tout de suite trouvé sa place dans notre quotidien. Notre ami s’est ôté la vie et nous n’avons rien vu, nous sommes passés à côté de l’essentiel, nous ne l’avons pas entendu, écouté, aidé, accompagné, supporté, soutenu. Naturellement dans nos conversations nous abordions des sujets tels que la vieillesse, la maladie ou les accidents qui causent la mort mais face à ses “idées de partir” comme il le mentionnait, notre réflexe était d’aborder le côté positif de la vie en mentionnant ses succès, ses qualités, en dépeignant un horizon plus lumineux. Voulant bien faire, nous avons fui le sujet par peur, inconfort et manque de connaissances. 

J’ai rencontré Antoine en septembre 2017 à New-York, où il était venu passer quelques jours rendre visite à Thuy avec qui j’avais démarré une relation quelques mois plus tôt. Dès son arrivée, il me confiait l’épisode d’angoisse par lequel il était passé l’année précédente durant son trajet entre Palm Springs et Montréal. Il s’était retrouvé tétanisé dans un motel à Denver avec des crises de chaleur et avait appelé Thuy pour lui venir en aide. Depuis cet incident, il avait recours aux médicaments pour stabiliser un état mental fragile bien que son image renvoyait à une personne confiante avec un corps musclé et une bonne situation professionnelle. Derrière ce masque se cachait un adolescent fragilisé par le décès de sa maman, rejeté par l’oncle qui avait promis de prendre soin de lui et un père distant. Il évoquait souvent sa solitude, le manque de communauté et de vie sociale où il vivait à Palm Springs dont la population est en majorité des retraités gays. Il tentait de trouver le remède en mélangeant alcool et médicaments, s’obstinait à faire de l’exercice physique et du yoga mais évitait de se plonger dans ses traumatismes. Au fil des années, la douleur émotionnelle à pris le dessus et il mentionnait de plus en plus ressentir de la souffrance.

Il avait pour habitude de venir nous rejoindre lors de nos échappées hivernales loin de Montréal et c’était pour lui une grande bouffée d’oxygène de quitter sa routine et sa solitude. Ces escapades ont bien évidemment renforcé notre amitié ainsi que la profondeur de nos échanges. Lors de sa visite à Barcelone, Antoine transportait dans ses valises une pharmacie de pilules, certaines expérimentales, qu’il avalait comme des bonbons avec des verres de vin. Son humeur s’en trouvait perturbé, un moment festif puis mélancolique, il ne trouvait plus le sommeil, ruminait de plus en plus des idées négatives et se dévalorisait. Il revisitait les échecs de sa vie, ses déceptions amoureuses, les amitiés perdues et mentionnait son inaptitude au bonheur. Malgré avoir beaucoup communiqué avec lui pendant cette semaine, je m’aperçois avec le recul et les informations glanées sur le sujet de santé mentale que je n’ai pas su écouter et entendre son mal-être sans essayer de valoriser les aspects positifs de sa vie.

Quelques mois plus tard, nous organisions une petite fête à Montréal pour célébrer ses 50 ans en compagnie de ses amis. Il aimait notre quartier pour sa proximité avec les parcs et la rivière St Laurent, les nombreux cafés, les centres de yoga et l’ambiance estivale. Cet été particulièrement, je me souviens du stress auquel il faisait face causé par une escroquerie liée à la vente de sa société. Il essayait d’obtenir gain de cause pour ce préjudice. Abattu et découragé, la douleur provoquée par le décès de sa maman quand il était adolescent refaisait surface avec beaucoup plus d’ampleur et de profondeur. Ses troubles du sommeil se sont accentués, son impatience, les pleurs, beaucoup d’autocritique, une grande fatigue et encore une fois la mixture de pilules le plongeaient dans plus de dépression, de négativité, de culpabilité. Peu après être retourné à Palm Springs pour récupérer sa société, nous apprenions qu’Antoine avait tenté de se suicider en avalant des comprimés de Benadryl mais que pris de panique, il s’était rendu aux urgences. Depuis, il était suivi par un programme de surveillance. 

Notre ignorance du moment sur le thème du suicide ainsi que le stigma qui est associé  puis la gêne d’aborder ce sujet, nous ont empêchés de voir les signes précurseurs qui auraient dû sonner l’alerte et prendre au sérieux ce qui se passait dans la tête d’Antoine.  Il nous est désormais impossible de remonter le temps mais cette tragédie nous à immergés dans des lectures sur les sujets de santé mentale, la psychologie, le suicide, la mort, le deuil, l’après-vie. Voulant l’aider et le soutenir, nous avons commis des erreurs en évitant le sujet et en tentant une approche positive qui nous a détourné de lui poser les bonnes questions. Où as-tu mal? Comment puis-je t’aider avec ta douleur? Veux-tu me parler de tes idées de suicide? Malgré notre amitié et notre proximité, le manque de connaissances et ce mal à l’aise nous ont incités à minimiser son état mental même si nous avons agi avec le cœur, avec compassion et bienveillance envers lui. A travers ce site, nous lui rendons un hommage et en sa mémoire voulons ouvrir ce débat et parler de santé mentale et de suicide qui sont toujours des sujets de conversations tabou dans nos sociétés mais surtout parler d’espoir et de guérison pour les personnes en détresse.